déférer / différer / référer

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  1. On comprend pourquoi les auteurs confondent parfois les quasi-homonymes déférer et différer car on peut tout aussi bien déférer une instance, une affaire ou un jugement que les différer. La distinction fondamentale à faire entre ces deux verbes est celle-ci : déférer signifie transmettre, renvoyer à une autorité compétente; par exemple, se dessaisir d’un dossier en l’adressant à la juridiction compétente (compétente 1compétente 2), c’est le lui déférer, mettre ou prendre en délibéré une décision, c’est la différer. Déférer une affaire n’est donc pas la reporter ou l’ajourner, mais la soumettre à l’examen du tribunal; déférer une plainte, c’est la porter devant l’organisme habilité à statuer sur celle-ci. Déférer un cas, une revendication. Déférer sans délai. « Les décisions du Conseil en matière disciplinaire peuvent être déférées à la Cour d’appel, soit par l’avocat sanctionné, soit par le Parquet. » Évoquer est l’antonyme de déférer puisque l’évocation est l’acte d’attirer à soi la connaissance d’une cause.

    Le verbe différer, au contraire, désigne le fait de reporter, d’ajourner, de remettre qqch. à plus tard, d’éloigner dans le temps, de renvoyer à un autre moment l’accomplissement d’un acte, d’en repousser ou retarder la réalisation, bref, de surseoir à son exécution. Différer une affaire, une cause, une demande, une démarche, un examen, un interrogatoire, une requête. Différer un délai, une échéance, un paiement. Différer l’achat, la vente d’un bien. « L’octroi de ces délais ne peut, en aucun cas, avoir pour effet de différer le paiement de l’indemnité au delà de dix années à compter de l’ouverture de la succession. » « La Chambre des lords a le pouvoir de différer » (= de reporter l’adoption d’un projet de loi).

    L’exemple suivant réunit les deux vocables en cause : « Le Conseil peut différer (= reporter à plus tard) l’étude de la demande présentée en vertu du présent article ou la déférer (= soumettre) au comité compétent. »

    Différer une procédure n’est pas la suspendre, mais la reporter; la nuance est de taille, et le législateur en est fort conscient lorsqu’il déclare : « Toute procédure prévue par la présente loi peut être soit différée, soit suspendue jusqu’à ce que le tribunal compétent ait tranché sur la poursuite criminelle. »

    On défère le jugement d’un procès à une autre compétence que la juridiction primitive, on le soumet à son instruction, mais on le différera, par exemple par des procédés dilatoires. Décision déférée par la voie du contredit, plutôt que par celle de l’appel. Loi déférée. « Le Conseil constitutionnel tient de la Constitution la mission juridique de vérifier la conformité à celle-ci des lois à lui déférées. » Dans le cas d’un renvoi pour l’étude d’un projet de loi devant une commission mandatée à cette fin, on défère le projet de loi, on ne le [réfère] pas. Voir plus loin pour l’emploi dans le langage juridique du verbe référer comme transitif direct.

  2. Le verbe déférer s’emploie en d’autres sens. Un procédé mnémotechnique simple qui permet d’avoir aisément à l’esprit ces diverses significations consiste à ne mémoriser qu’un des syntagmes qui correspondent à chacun des sens : a) déférer une fonction (c’est l’attribuer, la conférer), b) déférer une personne (c’est soit la nommer à une charge, soit la remettre aux mains des autorités judiciaires), c) déférer un serment (c’est demander à quelqu’un de le prêter), d) déférer à une autorité (c’est lui obéir, s’y soumettre, soit par nécessité, soit par respect). Voyons de plus près chacune de ces acceptions.
    1. Déférer une fonction. Dans l’usage ordinaire, déférer une dignité ou un honneur est vieilli; mais, en droit, on dit déférer la curatelle, la tutelle. En ce sens, est déféré ce qui est attribué, dévolu, transmis. Accepter, refuser la fonction, la charge qui est déférée. « Datif se dit du tuteur nommé par le conseil de famille ou de la tutelle ainsi déférée. » Tutelle déférée par le conseil de famille, sur avis du conseil de tutelle. En un sens très voisin, on dit aussi déférer un état juridique, comme la possession d’un bien, ou déférer la possession ou une portion d’un bien. « La possession des biens est déférée provisoirement au tuteur. » Portion de biens déférée. Par analogie, on dit déférer une succession à qqn pour signifier qu’on déclare qu’elle lui revient, qu’on la lui attribue.
    2. Déférer une personne. Se prend en mauvaise part : déférer un accusé à la justice, un officier au Conseil de guerre, à la Cour martiale. Déférer un mineur à la juridiction répressive. « Le prévenu a été déféré à la Cour provinciale. » « Pris en chasse et capturé, le hors-la-loi étranger a été déféré aux tribunaux de son pays. »
    3. Déférer un serment à qqn. On défère un serment lorsqu’on exige de quelqu’un qu’il juge qqch. Par exemple, dans le cadre de la procédure civile, le serment judiciaire qui est déféré prend deux formes dans un procès : celui qu’une partie défère à l’autre pour en faire dépendre le jugement de la cause et celui que défère le tribunal. Dans le premier cas, la partie force son adversaire à prêter serment (elle le lui défère), c’est le serment décisoire; dans le second, c’est le tribunal qui, d’office, exige d’une partie qu’elle prête serment; ce serment déféré judiciairement ou d’office est dit supplétoire ou, plus rarement, supplétif. Le serment est, d’ordinaire, déféré aux héritiers, au tuteur, à un débiteur ou à une caution. « Un serment déféré au débiteur principal libère également les cautions. » « Le serment du codébiteur solidaire ou de la caution ne profite aux autres codébiteurs ou au débiteur principal que lorsqu’il a été déféré sur la dette, et non sur le fait de la solidarité ou du cautionnement. » Ce dernier exemple illustre le cas du syntagme déférer un serment sur qqch., généralement sur une dette ou sur un fait allégué. « Le serment décisoire peut être déféré sur quelque espèce de contestation que ce soit. » Être déféré en tout état de cause.

      Il ne faut pas confondre déférer le serment et référer le serment. On rencontre ces deux expressions en matière de délation de serment. « Le serment déféré d’office par le juge à l’une des parties ne peut être par elle référé à l’autre » (= il ne peut être déféré en retour à la partie qui l’avait elle-même référé afin d’éviter de le prêter et de le refuser). « Celui auquel le serment est déféré, qui le refuse ou ne consent pas à le référer à son adversaire, ou à qui il a été référé et qui le refuse, doit succomber dans sa demande ou dans son exception. » « Celui à qui le serment aura été déféré ou référé en matière civile, et qui aura fait un faux serment, sera puni d’un emprisonnement ou d’une amende. »

    4. Déférer à une autorité. Le complément qui accompagne le verbe déférer employé comme transitif indirect peut être une personne ou une chose. S’il s’agit d’une personne, l’acte de s’en remettre à elle implique l’expression de respect, de considération, de déférence. Déférer à qqn, à son âge, à son désir, à sa dignité, à son mérite, à son avoir. Déférer à un acte juridique comminatoire, c’est aussi s’y soumettre par la force de l’autorité dont il est investi. Déférer à l’avis, à la décision, à une instruction, au jugement, à l’ordonnance, aux ordres de qqn, déférer à une citation, à une injonction, à une sommation. « Il faut obligatoirement déférer à une sommation de s’arrêter faite par un agent revêtu des signes extérieurs et apparents de sa qualité. » « Le juge peut condamner à l’amende prévue au code de procédure civile ceux qui, sans excuse légitime, n’auront pas déféré à ses injonctions. »
  3. Le verbe déférer change le é de la deuxième syllabe en è devant une syllabe muette, sauf au futur et au conditionnel : je défère, mais nous déférons, je déférerais, nous déférerions.
  4. Le verbe différer s’emploie dans l’usage courant au sens d’être en désaccord avec qqn sur qqch. ou au sujet de qqch.. Différer d’avis, d’opinion (avec qqn). Différer à l’amiable ("to agree to disagree"). « En dépit de certains avis sur le sujet exprimés par des juristes chevronnés pour qui j’ai le plus grand respect, je me permets de différer de leur opinion avec toute déférence. »

    Dire d’un texte qu’il diffère d’un autre texte, de l’original, signifie qu’il s’écarte de façon appréciable, fondamentalement, de ce dernier, qu’il ne dit pas la même chose que lui.

  5. Outre l’emploi juridique de référer mentionné ci-dessus, le verbe ne s’emploie plus en français moderne que dans deux sens : a) soumettre à qqn un cas pour qu’il en décide, lui faire rapport de qqch., en appeler à lui; ainsi, en référer à un juge, à un tribunal signifie le saisir d’une affaire, d’une question « Il faudra en la circonstance en référer à la Cour d’appel »; b) se référer à un acte, à une déclaration, à un décret, à un document, à un précédent, à un texte désigne le fait d’y recourir, de l’invoquer, de prendre appui sur lui pour avancer une prétention (« L’avocat se réfère à la définition du mot personne »).

    Il faut se garder de dire [référer à qqn ou à qqch.], expression calquée sur l’anglais "to refer to"; on ne [réfère] pas une question au tribunal, mais on la lui défère, on la lui renvoie ou on le saisit de la question; on ne [réfère] pas un client à un autre avocat, mais on l’adresse à un autre avocat, on le dirige vers lui, on le lui envoie, on le lui recommande ou on conseille à son client d’aller le voir. Ajoutons, pour un complément d’exemples utiles, qu’on ne [réfère] pas une partie à une clause du contrat, mais on la renvoie à cette clause, qu’on ne [réfère] pas le tribunal à un élément de preuve, mais qu’on le lui cite ou on le lui mentionne ou rapporte, et qu’on ne [réfère] pas son client au fait que la vente a eu lieu, mais qu’on lui rappelle ce fait, on le lui signale, ou on l’en met au courant, on l’en informe.

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