Traduire le monde : Poutine en français et Putin en anglais. Pourquoi?

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André Racicot
(L’Actualité langagière, volume 2, numéro 4, 2005, page 21)

Tout francophone qui lit sur la Russie en anglais ne manquera pas d’être frappé par les différences dans la graphie des noms de lieux et de personnes. À commencer par le nom du président Vladimir Poutine, qui s’écrit Putin dans la langue de Shakespeare. Ce phénomène touche aussi des personnalités du monde littéraire, comme Alexandre Soljenitsyne (Solzhenitsyn) et Anton Tchekov (Chekhov), ainsi que les toponymes. Pensons à Iakoutsk, écrit Yakutsk en anglais. De toute évidence, les deux langues ne transcrivent pas les noms russes de la même manière.

Car transcription il y a, et ce pour une raison très simple : la langue russe utilise l’alphabet cyrillique. Comme il serait impensable d’écrire Путин en espérant que le lecteur francophone ou anglophone reconnaîtra spontanément le président russe, le rédacteur doit transcrire phonétiquement son nom. Cette opération de transcription est appelée translittération en langage savant. Elle touche de nombreuses autres langues dont l’alphabet est différent du nôtre, comme l’ukrainien, le grec, le géorgien, l’arabe, etc.

Pour les mêmes raisons, les toponymes doivent être transcrits, sauf ceux qui sont traduits, comme Moscou et Saint-Pétersbourg. Toutefois, l’immense majorité passe par le tamis de la translittération.

Alors pourquoi ces différences orthographiques entre les transcriptions anglaises et françaises? Tout simplement parce que ces deux langues ne transposent pas les sons de la même manière. Prenons un exemple très simple. Si un francophone voit le mot Chernobyl, il lira Cher-nobil. Or le nom de cette ville ukrainienneNote de bas de page 1 rendue célèbre par un terrifiant accident nucléaire se prononce en réalité Tchernobyl. La première graphie était évidemment anglaise et ne saurait être utilisée dans un texte français. C’est donc dire que chaque langue aura sa façon d’écrire les noms russes, afin d’en respecter la prononciation originale. Ainsi, Koursk s’écrira Kursk en anglais, Iekaterinbourg deviendra Yekaterinburg et Nijni Novgorod s’écrira Nizhni Novgorod. La transcription vise à restituer dans la langue d’arrivée la prononciation exacte du nom dans la langue de départ.

Les autres langues à caractères latins font subir les mêmes transformations aux noms russes. Ainsi, Chostakovitch s’écrit Schostakowitsch en allemand et Szostakowicz en polonais. Utiliser la graphie anglaise Shostakovich dans ces langues, aussi bien qu’en français, constitue une faute d’orthographe.

Ces considérations ne sont pas issues du cerveau pointilleux d’un académicien. La consultation de n’importe quel dictionnaire de noms propres révèle que, par exemple, Voronej possède une et une seule graphie dans notre langue et que cette graphie n’est pas Voronezh, comme en anglais. On ne peut donc pas reporter aveuglément les graphies anglaises dans notre langue sans commettre de regrettables fautes d’orthographe.

D’ailleurs, nul rédacteur francophone ne songerait à écrire Poutine avec sa graphie anglaise (Putin), car l’erreur sauterait aux yeux et déclencherait l’hilarité générale. Mais, le plus souvent, la graphie anglaise des noms russes n’est pas aussi cocasse pour les francophones et les erreurs passent facilement inaperçues. La nuance entre Mourmansk et Murmansk n’est pas évidente.

S’il est bien connu en Europe, le phénomène de la translittération semble être de ce côté-ci de l’Atlantique un rébus enveloppé de mystère au sein d’une énigme, pour paraphraser Churchill… Il est en effet particulièrement désolant de constater que les médias francophones ne semblent faire aucune différence entre graphies française et anglaise des noms russes, sauf pour les cas très connus, comme Poutine-Putin. Pensons au nom de la championne de tennis Maria Sharapova, dont la graphie anglaise est un smash en pleine figure pour notre langue. Pensons aussi à ce magazine d’information québécois qui, l’an dernier, lançait fièrement une nouvelle carte du monde, traduite de l’anglais, et dont à peu près tous les noms russes étaient écrits en anglais.

Pourtant, nous n’avons pas besoin de traverser la Sibérie pour trouver la bonne graphie. Un coup d’œil au dictionnaire permettra de retracer aisément les noms de villes et de personnages historiques. Quant aux noms issus des fluctuations de l’actualité, on en dénichera l’orthographe exacte dans les pages Web des journaux francophones européens.

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