Puis, les années ont passé…

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Jeanne Duhaime
(L’Actualité terminologique, volume 29, numéro 3, 1996, page 12)

Au début de ma carrière, je me suis beaucoup interrogée sur la locution au titre de, qu’un de mes réviseurs affectionnait tout particulièrement. Introuvable. Sa signification m’échappait. Contrariété.

… puis, j’ai commencé à en collectionner des exemples au hasard de mes lectures. Les plus anciens exemples de mon fichier remontent à 1971. Espoir.

… puis, les années ont passé, et une fiche de difficultés de langue Repères-T/R a été consacrée à cette locution, en 1985. « La locution au titre de, quant à elle, est absente des dictionnaires les plus récents : ni le Robert 1985, ni le Grand Dictionnaire encyclopédique Larousse n’en font état. […] Il y aurait donc avantage à la remplacer, selon le contexte, par des expressions comme les suivantes […]Note de bas de page 1.» Déception.

… puis, les années ont passé, et les fiches Repères-T/R ont fait l’objet d’un recueil. Nouvel espoir. Nouvelle déception. La fiche de 1985 a été reproduite telle quelle. Cependant, ma collection a maintenant suffisamment grossi pour que je m’interroge à nouveau, et que j’en vienne à me demander si ce lecteur qui, à l’époque, a réagi à la fiche Repères-T/R ne faisait pas montre de clairvoyance en affirmant que, « aussi bien dans les lois que dans la langue administrative en général, l’emploi de au titre de est parfaitement correct et légitime ».

D’abord, les lois. Si, d’après la fiche Repères-T/R, le Guide de rédaction législative, le Guide canadien de rédaction législative française (1980) et le Lexique de la Cour fédérale « n’abordent pas la questionNote de bas de page 2 », les mises à jour du Guide canadien de rédaction législative française (janvier 1991, juin 1992 et janvier 1993) en recommandent l’usage :

« Lorsque la disposition citée a valeur habilitante ou contraignante, on emploiera l’une des locutions suivantes : en application de, par application de, aux termes de, en exécution de, en vertu de, sur le fondement de, au titre deNote de bas de page 3. »

La mise à jour de janvier 1993 va encore plus loin :

« L’expression au titre de a été condamnée par certains au motif qu’elle ne figure pas telle quelle dans les ouvrages de langue généraux. Or, son emploi est couramment attesté dans des textes originaux, c’est-à-dire non traduits (lois, jurisprudence, doctrine et même journaux). En voici un exemple d’autant plus intéressant qu’il met en évidence sa différence par rapport à à titre de : 

Par ces motifs : – Condamne… à payer la somme de … à titre de dommages et intérêts …; les condamne à lui verser la somme de … au titre de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile. Il n’y a donc pas lieu d’hésiter à employer au titre de, si le contexte s’y prêteNote de bas de page 4. »

On trouve aussi dans cette publication de nombreux exemples :

« Le ministre peut procéder à toute nomination d’inspecteur chargé, à titre individuel ou au titre de son appartenance à une catégorie déterminée, du contrôle d’application de la présente loiNote de bas de page 5. »

« Le total non remboursé des prêts consentis à la Société, au titre du paragraphe (1) ne peut à aucun moment dépasser […]Note de bas de page 6. »

« Les sommes dues par un prestataire au titre des créances visées aux paragraphes (1) ou (2) peuvent […] être déduites […]Note de bas de page 7. »

« Le ministre verse à la société, au titre des frais d’établissement pour la première année d’activité […]Note de bas de page 8. »

Autre exemple intéressant, tiré cette fois de notre Règlement de l’impôt sur le revenu :

« Toute personne qui fait un versement à titre ou au titre a) d’un dividende ou d’un montant réputé, aux termes de la loi, être un dividende […]Note de bas de page 9.» 

On saisit la nuance sans mal; on aurait difficilement pu trouver plus concis pour rendre les deux idées exprimées.

Et encore un autre, tiré du Précis de procédure de la Chambre des communes :

« Le Budget des dépenses supplémentaire comporte des postes budgétaires de un dollar appelés « crédits d’un dollar », c’est-à-dire ceux au titre desquels le gouvernement ne demande pas de crédits nouveaux ou supplémentaires […]Note de bas de page 10. »

Ensuite, la langue administrative, voire la langue en général. Les exemples abondent, dans diverses sources, sans compter celui relevé sur un formulaire du ministère français de l’Économie et des Finances :

« […] qui le transmettra au bureau demandeur, après prise en compte au titre de la bibliothèque généraleNote de bas de page 11. »

Dans la collection Que sais-je? :

« […] un local est loué pour cela, ou prêté au titre des « mètres carrés sociaux »Note de bas de page 12. »

Dans L’Express :

« Les journalistes bénéficient d’une semaine supplémentaire au titre de la récupération des jours fériés travaillésNote de bas de page 13. »

« Au titre des frais professionnels, il [le médecin] ne peut déduire de ses revenus que 50 000 francs sur quatre ansNote de bas de page 14. »

Dans Le Monde hebdomadaire :

« En juillet, on comptait 136 668 jeunes rémunérés au titre des TUC (travaux d’utilité collective) contre 134 500 en juinNote de bas de page 15. »

« À ce sujet, est-il normal qu’un organisme sous tutelle de l’État se retrouve, au titre de ses missions nationales, être son conseillerNote de bas de page 16? »

Dans Le Nouvel Économiste :

« […] la banque leur a prélevé 1 % au titre de la gestion […]Note de bas de page 17. »

Plus près de nous, on le lit dans L’Actualité terminologique :

« […] toute entrée ou sortie de fonds est enregistrée au titre de l’exercice au cours duquel l’encaissement ou le décaissement se produit effectivementNote de bas de page 18. »

Et dans Meta :

« Or, chaque année des milliers de boursiers partent, au titre de la coopération, faire des études scientifiques et techniques en Europe […]Note de bas de page 19. »

Je l’ai encore rencontré dans une publication pour jeunes due à un éditeur sérieux :

« […] la société de crédit prélèvera […] le remboursement du prêt et les intérêts dus au titre de l’empruntNote de bas de page 20. »

Et – pourquoi pas – dans une bande dessinée publiée en Belgique :

« Avant-hier encore, nous avons reçu de l’étranger trois millions de dollars au titre d’aide aux pays en voie de développementNote de bas de page 21. »

Usage fort répandu, donc. De quoi confondre les sceptiques… Les grandes encyclopédies en usent aussi. Universalis :

« Une somme de 160 millions de dollars au titre de l’aide économique […]Note de bas de page 22. »

Et La Grande Encyclopédie Larousse :

« Il consacre également des réformes intervenues « au titre de textes récents […]Note de bas de page 23. »

Qu’en est-il des dictionnaires et des ouvrages de langue? Certes, on ne trouve, sauf erreur, dans aucun une entrée au titre de, mais la locution indésirable n’en est pas pour autant totalement absente.

Je l’ai relevée :

dans le Petit Robert de 1993 :

« […] dépenses qu’une personne fait au titre d’un organisme […]Note de bas de page 24. »

dans le Grand Robert de 1985 :

« Ensemble des droits applicables au titre d’un même impôtNote de bas de page 25. »

dans la première édition du Multidictionnaire :

« Régime juridique au titre duquel des biens constituent un patrimoine distinct […]Note de bas de page 26. »

dans Les Maux des mots :

« […] définit « cédule » comme une convocation judiciaire ou comme une catégorie de revenus au titre des impôtsNote de bas de page 27. »

dans le Grand Larousse universel :

« […] part du produit national ponctionnée sur les agents économiques au titre de la fiscalité et des transferts sociauxNote de bas de page 28. »

dans le Vocabulaire de l’Administration :

« Versement […] à valoir sur le montant de l’impôt dû au titre de l’année en coursNote de bas de page 29. »

dans Au Bonheur des mots :

« […] la loi de 1975 a ajouté diverses prolongations […] au titre de la guerre de 14-18Note de bas de page 30. »

de même que dans un ouvrage consacré à la ponctuation :

« Maints adverbes et locutions adverbiales sont des termes modificateurs figurant, au titre d’expression introductive, soit au début d’une phrase […]Note de bas de page 31. »

et dans un autre consacré au style :

« Et peut-être nos descendants connaîtront-ils une forme de civilisation au sein de laquelle la clarté sera condamnée au titre de vice capital de l’expression orale et écriteNote de bas de page 32 »

Encore que dans ces deux derniers cas, il semble qu’on ait confondu au titre de et à titre de. Cependant, la réputation de ces auteurs n’est plus à faire.

Devant une telle moisson, plus de doute possible : au titre de est bel et bien consacré par l’usage, grâce à cette dynamique « qui fait […] du français une langue qui se diversifie et se renouvelle et qui n’hésite plus à transgresser les règlesNote de bas de page 33 ».

… puis, les années ont passé, et la locution que, débutante dans la profession, je mettais en question peut maintenant faire partie de ma trousse de secours. Elle me dépannera sûrement, à l’occasion.

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